Vous pensez bien connaître Jean Van Hamme, mais en êtes-vous si sûr ? Lhomme est fameux pour ses scénarios à succès, véritables machines éditoriales à fabriquer des best-sellers.
XIII,
Thorgal,
Largo Winch, la reprise de
Blake et Mortimer… Mais qui se souvient encore d
Epoxy, le tout premier album signé Van Hamme et publié en 1968 ? Certainement pas les jeunes générations de lecteurs, plus familiers avec les problèmes didentité de XIII ou les pérégrinations aventuro-financières du beau Largo. Il faut dire qu
Epoxy occupe une place à part dans luvre du "wonder boy" de la BD : cest un scénario
érotique, mâtiné de références à la mythologie grecque. Bref, presque un OVNI dans sa bibliographie ! Lhistoire débute au large de la Grèce, avec linnocente promenade en voilier dune jeune fille ravissante. Mais après avoir été percutée par un yacht, elle va se trouver plongée – au propre comme au figuré – dans un maelström daventures inattendues – mais pas franchement désagréables, il faut bien le reconnaître. La voilà propulsée dans une sorte dunivers parallèle situé, comme le lui explique Hermès, "infiniment plus loin de ton monde que tu ne pourrais lêtre dans le temps ou dans lespace". Des aventures quelle vivra la plupart du temps dans une tenue plus que légère – une manière de dire quelle passe presque tout lalbum à se balader dans le plus simple appareil. Mais attention : nulle trace de scènes pornos ou racoleuses dans
Epoxy. Là, nous sommes plutôt dans le registre de lérotisme évocateur, "soft" et chic, avec la caution historique et philosophique des principaux personnages de la mythologie grecque. Et cest ainsi que la petite Epoxy fait la connaissance des es, dHéraklès, de Thésée, des Centaures, de Dionysos, de Psyché et de bien dautres encore. Au passage, elle distille des remarques délicieuses, comme lorsquelle rencontre Hermès ("Mais cest quil est beau, le boucher !"). Parfois, elle est un peu lasse de vivre toutes ces aventures ("Jen ai marre, jen ai plus que marre !" ; "Oh non, ça recommence !"). Le plus souvent, elle sétonne de ce qui lui arrive avec une fraîcheur et une naïveté touchantes ("Ça alors !"). Elle finit même par ne plus trop savoir où elle en est ("Qui suis-je ? Ah, je ne le sais plus moi-même !"). Mais dans lensemble, elle ne se plaint pas trop de son sort ("Pff ! Je me sens mieux !").
Sacrée Epoxy
Précurseur de la bande dessinée érotique, cet album fut initialement publié par Losfeld, qui édita quelques années plus tôt Barbarella. Le dessinateur, Paul Cuvelier, sétait fait connaître avec son personnage de Corentin dans les pages de lhebdomadaire Tintin. Passionné par la peinture, mal à laise dans la bande dessinée quil considérait comme un art imparfait, Cuvelier fut un dessinateur de grand talent qui navait pas son pareil pour magnifier le corps humain avec son crayon et son pinceau. À lépoque de la sortie de lalbum, Jean Van Hamme nétait pas encore un professionnel de la BD. Cadre supérieur chez Philips, où il se morfondait, il décida de proposer cette histoire au dessinateur, pour lequel il écrivit également des scénarios de Corentin. Le destin de Van Hamme était en marche. Et il est amusant de constater que sa toute première histoire, peuplée de créatures féminines pulpeuses, ne réserve quune place marginale aux hommes. Quelques années plus tard, avec des séries comme XIII et Largo Winch ou, plus récemment, la reprise de Blake et Mortimer, Van Hamme connaîtra la célébrité avec une bande dessinée daction à la gloire de personnages masculins purs et durs… --Gilbert Jacques