'A canzóne, 'na success story napulitana
E fino a mmò si sente a Sergio 'Bruno
Te fa cunzulà a ggente a une uno
Jusqu'à maintenant on écoutait Sergio Bruni
il te consolait les gens un par un
Eugenio Pagliolo, dit Eugenio cu e llente (1973)
Parmi les ouvrages consacrés à la chanson napolitaine que j'ai pu consulter, rares sont ceux qui portent un regard critique sur leur objet. La raison de cette rareté est simple, elle tient à la définition des limites de celui-ci. Pour ces auteurs, la chanson naît en 1835 avec Te voglio ben assaje, et s'éteint en 1945 avec Munastero o Santa Chiara. Logiquement, ces puristes de la tradition, rejetant tout ce qui se produit après cette date, n'ont plus qu'à sanctifier et embaumer leur objet, le célébrer lors d'occasions choisies, en accordant leurs faveurs au «meilleur» de la chanson napolitaine, et oublier le reste... Mais ils ne sont pas seuls.
Peu impliqués dans la «question des origines», d'autres auteurs préfèrent mettre l'accent sur les lendemains de la chanson napolitaine : là où une critique objective peut avoir une réelle signification. Vittorio Palietto (1958 et 1962) et Pasquale Scialó (1996) sont de ceux-là. Le premier écrit : nous restons convaincus que tant que l'on chante, de quelques façons que Ton chante, la chanson napolitaine n'est pas morte. Et que la meilleure façon d'honorer Di Giacomoet Gambardella consiste précisément à regarder attentivement et avec confiance le futur de la chanson napolitaine. Une leçon d'histoire reprise trente-huit ans après par le second. Pour Scialô, si la chanson napolitaine est aujourd'hui encore bien vivante, elle le doit à sa capacité d'adaptation à des environnements divers... Notamment commerciaux. Mais cette plasticité peut être aussi une faiblesse et ouvrir la porte à des ersatz de quinzaines commerciales et de paillotes de bord de mer. Cependant, ce n'est pas une raison pour «refouler» les quelques milliers de titres annuels qui se produisent autour des années cinquante «comme produits de subsistance et d'autoconsommation à l'intérieur de ce que l'on appelle la culture du vicolo, qui ne se confond ni avec la production festivalière ni avec celle d'atmosphère pour le night-club.»
Les signes de succès n'ont jamais manqué à la chanson napolitaine, quels qu'ils soient. Ce sont les 180.000 coppielle (feuilles volantes avec paroles et textes) vendues de Te voglio ben assaje. C'est la Poliphon-Musikwerke de Leipzig qui en 1912 expédie en catastrophe un représentant dans sa succursale de Naples pour savoir pourquoi un auteur à succès comme Giuseppe Capaldo (1874 - 1919) n'a pas signé de contrat chez eux... «Signes extérieurs» de succès également : on se souvient peut-être de Pavarotti, Carreras et Domingo ouvrant la Coupe du monde de football 1990 en Italie. Mais on ne sait peut-être pas qu'à la clôture des Jeux Olympiques d'Anvers en 1920, 'O sole mio fut joué à la place de l'hymne national italien ; que Funiculi Funiculà a été exécutée à l'occasion du changement de la garde du Palais Royal du Danemark ; que l'Empereur Guillaume défila dans les rues de Naples au son de E spingole frangese (à sa demande expresse) ; enfin, que Santa Lucia, sous le titre de Santa Milicjia, fut adoptée par les militants de Solidarnosc comme chant d'opposition au régime stalinien... Dans certains cas, il est évident que les cohortes de la diaspora italienne consécutive à l'émigration ont joué un rôle non négligeable dans cette success story, mais ceci n'explique pas tout.
Le succès appelle le succès, quel qu'il soit et d'où qu'il vienne... Pour la chanson napolitaine, il est le produit de la symbiose qui s'effectue entre plusieurs facteurs, symbiose par laquelle il se font valoir et acquièrent un pouvoir d'émulation réciproque. E. Di Mura (1950) choisit d'entrer dans le système par le dialecte napolitain, et nous le suivons volontiers lorsqu'il dit que celui-ci doit sa notoriété au fait d'avoir été porté par la chanson. Ajoutons : et la chanson napolitaine doit son succès au dialecte... La chanson est le genre lyrique d'un «parlé», le Napolitain, qui est la matière de celui-ci. Ainsi, dans l'énoncé «chanson napolitaine», le terme «napolitain» n'est pas un adjectif. Il ne renvoie pas à une Indicazione geografica protetta comme pour la Mozzarella di Bufala Campana, mais à la substance de la chanson.
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