
HINDENBURG - ROMAN - LES CENDRES DU CIEL
Autre
15 mars 1936.
Le petit hydravion blanc se pose sur un lac, au coeur de l'immense forêt du Labrador. C'est la fin de l'hiver dans le Nord-Canada et la neige, en croûtes éparses, tavelle le sol spongieux entre les hauts sapins bleus.
La jeune fille qui saute en acrobate du flotteur à la terre ferme sait où elle va. En marchant, elle ôte son casque et ses lunettes de pilote, dénoue les pans de son écharpe, ouvre son cache-poussière de cuir et bascule entre ses omoplates l'étui de sa Winchester 73. Non qu'elle ait des intentions agressives, mais elle sait que les caribous, les lynx, les ours et les loups n'apprécient guère que l'homme viole leur territoire boréal.
Après quelques pas dans le sous-bois, l'ombre des arbres empêchant la neige de fondre, Diane Hunter chausse des raquettes jusqu'à la cahute de peaux tendues sur des perches cambrées, dont elle a repéré la fumée au-dessus des futaies.
L'Indien qu'elle vient visiter est un Naskapi, de la famille des Algonquins, un «faiseur de rêves» et un chasseur nomade. Il s'appelle Ahota. Lorsqu'elle écarte la pelisse qui masque l'accès à la tente, il dort, comportement normal pour un homme de sa tribu qui a, depuis longtemps, reconnu son approche et sait n'en avoir rien à craindre. Les Naskapis ont besoin d'énormément de sommeil pour bien rêver. S'ils restent éveillés trop longtemps, ils deviennent fous ou bien ils meurent.
Chaque année à la même époque, Diane Hunter vient le voir sur son campement, où qu'il se trouve. Toute petite, elle en a fait le serment, après qu'Ahota lui a sauvé la vie en la protégeant d'une bande de chiens sauvages, bâtards de samoyèdes, de loups et d'autres races tout aussi dangereuses. Il servait de scout à son oncle qui l'avait emmenée en promenade en traîneau. L'oncle, excellent musher, mais un peu jeune, avait voulu prendre à la course l'équipage de l'Indien et n'avait réussi qu'à se casser la jambe. La horde l'avait senti, comme elle avait perçu le parfum de la petite fille. Ahota avait tiré sa hache et son couteau. La sauvagerie du combat avait profondément marqué Diane, mais plus encore le respect avec lequel le Naskapi avait enterré ses victimes en demandant à chacune pardon et en les appelant «frères». Depuis, une fois par an à la date anniversaire, Ahota met un peu de terre rouge dans son foyer pour colorer la fumée et Diane survole son domaine jusqu'à ce qu'elle l'ait localisé. Alors, elle se pose au plus près et marche vers lui pour lui offrir son cadeau de l'année.
Cette fois, c'est un petit baromètre. Ahota, monticule de fourrure surmonté d'une tête plissée comme un vieux fruit piqué d'une pipe, remercie d'une inclinaison du chef en soufflant une vapeur grise, épaisse, odorante. Il a perdu beaucoup de dents et de cheveux mais cela n'a pas d'importance car il parle peu et n'ôte plus jamais son bonnet de lynx, lequel doit désormais être solidaire de la peau de son crâne.
«As-tu pensé au whisky?
- Je le laisserai sur la berge. Deux caisses. Comme chaque fois.