Critique 1

Ebine Yamaji est une auteure peu banale. Ses œuvres, qui tournent principalement autour de l'homosexualité, marquent le lecteur. Malgré un début d'histoire assez classique, elle nous amène plus loin, explorant l'âme des personnages sans tomber dans la caricature psychologique. Avec Au Temps de l'amour, Asuka nous fait de nouveau entrer dans l'univers si particulier de la Mangaka.

Ce josei de plus de 300 pages parle d'amour, on s'en serait douté. Shiori, jeune étudiante en Art, tombe amoureuse de Kageyama, beau brun ténébreux. Jusque-là, c'est le schéma classique, sauf qu'il s'agit d'Ebine Yamaji ici, et les choses ne sont jamais si simples avec elle. Il se trouve que Kageyama est gay et vit toujours avec le souvenir de son ami disparu. Cependant la Mangaka est assez maligne pour ne pas tomber dans le cliché et l'intrigue va s'étoffer, se complexifier. Petit à petit des éléments se greffent autour de ce noyau. Viol et assassinat côtoient une amitié naissante. Alors que tout paraît les éloigner, c'est le traumatisme que portent Shiori et Kageyama qui les rapproche, au point que l'Autre va rapidement devenir une nécessité.

Autour de ce duo gravite un certain nombre de personnages, dont chacun possède son histoire et sa propre relation avec le duo. On croise tout d'abord Toda, ami de Shiori, qui va se déclarer au plus mauvais moment. Avec lui, nous explorons la sexualité et les relations amoureuses après un viol. Vient ensuite Nori, ami de Kageyama, mais également épris de lui. Il se liera d'amitié avec Shiori, leur servant d'intermédiaire. Un autre personnage lié au duo est le père de Nori, peintre quinquagénaire qui connaît Kageyama depuis des années, ce dernier lui ayant servi de modèle à une époque. D'autres personnages sont bien entendu présents tel le violeur de Shiori et Nakazawa qui, bien que mort, est toujours présent pour Kageyama. Ce petit monde se croise, chacun apportant son lot de réconfort et de souffrance. L'âme humaine est explorée de fond en comble, sans jamais tomber dans le désespoir. Nos deux héros évoluent, chacun à son rythme et ensemble, relevant la tête à chaque nouvelle épreuve.

Le trait de l'auteure apporte un côté très poétique à l'histoire. Celle-ci, déjà développée par les réflexions des personnages, est renforcée par le dessin très épuré de Yamaji. Il n'y a presque pas de décors, seuls les endroits marquants de l'histoire, telles les berges de la rivière où l'on croise régulièrement Shiori et Kageyama, sont détaillés. Même les personnages ont un style particulier, représentant leur personnalité. Shiori est sensible, fragile, elle a les cheveux courts, clairs, et paraît chétive, alors que Kageyama est un être beaucoup plus sombre, grand et brun, son parfait opposé. Le chapitrage permet également de souffler pendant l'histoire, l'ambiance étant assez pesante, le style tout en légèreté permet de la contrebalancer.

Le style graphique appuie parfaitement l'univers de cette œuvre. Le poétique côtoie à merveille le sombre. S'emmêlent drame et légèreté, poésie et noirceur de l'âme. Même la couverture nous montre cet enchevêtrement. Nous avons d'un côté un titre écrit dans une typographie assez particulière, notamment au niveau du mot 'amour'. De l'autre, un dessin sobre montrant un instant figé où Shiori caresse la cage d'un oiseau. Le tout est lyrique, on devine le geste lent, la nuit qui commence à tomber, la lueur faible de la bougie, l'oiseau fragile et prisonnier...

Au temps de l'amour n'est cependant pas un manga à mettre entre toutes les mains, les thèmes abordés sont très adultes. Nous assistons à une histoire torturée, atypique, à la naissance d'une amitié inattendue, mais sans jamais tomber dans le cliché d'une pseudo-analyse psychologique donneuse de leçon. Ebine Yamaji nous montre que tout le monde peut tomber, y compris des êtres forts, mais aussi qu'on peut se relever si on le souhaite. Le lecteur, touché par la douleur et la sincérité des personnages, n'en sort pas indemne.

17/20

par Miyu

Critique 2

Une blessure au coeur ne se referme jamais...

Ce One Shot est assez surprenant, car il mélange la douceur et la poésie avec la dureté de la vie. Il raconte l'histoire de Shiori, étudiante discrète et solitaire, qui va faire la rencontre de Kageyama, un jeune homme sombre et difficilement abordable. De plus, il semble voir vécu une terrible tragédie. Il va tout de suite attirer sa curiosité et le destin va les réunir d'une bien cruelle manière.
On peut dire que Yamaji Ebine nous livre un manga à l'univers bien particulier. Les personnages apportent un ton très mystérieux et secret à ce titre. Ils sont aussi bien l'un que l'autre très discret, assez solitaires, et devront chacun faire face à de grandes souffrances. En effet, ce One Shot traite de sujets très durs tels que le viol ou même le meurtre, mais le style de l'auteur fait qu'il n'y a pas pour autant de surenchère du drame ou de la violence. Ce manga aborde également la complexité des sentiments amoureux en mettant en scène des amours homosexuels, à sens unique et des relations difficiles. D'autres personnages seront d'ailleurs mis en scènes et vont graviter autour des deux héros, leur apportant leur lot de réconfort ou au contraire de souffrance. L'auteur explore tous les doutes et les vices de l'âme humaine, des plus anodins aux plus effroyables. Malgré cela, on ne tombe jamais dans le désespoir, car les protagonistes savent relever la tête et affronter leurs démons. Le titre a aussi un côté poétique apporté par le caractère et les réflexions des personnages principaux et du milieu dans lequel ils évoluent. Les personnages se trouvent en effet dans le monde de l'art.

Des graphismes épurés vont contribuer à apporter ce côté poétique. Shiori ne ressemble en rien aux héroïnes de manga habituelles. Cheveux courts et clairs, très chétive... son style correspond tout à fait à sa personnalité fragile et sensible. Elle semble représenter la pureté alors que le héros a un aspect plus sombre. Il n'y a presque pas de décors, ce qui renforce l'aspect renfermé sur eux-mêmes qu'ont les deux protagonistes. Seuls certains lieux clés du scénario seront bien détaillés. Le style graphique de l'auteur appuie donc à merveille l'univers de son titre.

Yamaji Ebine mêle donc habilement drame et légèreté, beauté et noirceur des sentiments tout en maintenant une intrigue tout au long de son tome.
Il s'agit d'un titre dont on ne ressort pas indemne, tellement la douleur et la sincérité des personnages sont touchantes. Le seul reproche que je puisse faire est qu'un passage de la fin semble un peu tiré par les cheveux, ce qui est dommage, car jusque là tout était abordé avec assez de réalisme. Néanmoins, cela reste un très bon titre qui m'a beaucoup marquée, aussi bien pour sa beauté que pour la dureté des thèmes abordés.

18/20

oyooooo